20 avril, 2024

Engagement des forces armées en Syrie

 

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Le 13 novembre au matin, quelques heures avant la tragédie qui allait ensanglanter la capitale, le gouvernement saisissait les bureaux des Assemblées pour fixer au 25 novembre le vote prévu par le troisième alinéa du nouvel article 35 de notre Constitution.

Ici même le 15 septembre dernier, vous informiez le Sénat, Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères, de l’intention du gouvernement d’employer la force aérienne Française contre les installations militaires de l’Émirat islamique non seulement en Irak mais également en Syrie. C’était il y a deux mois et demi à peine et pourtant le contexte a profondément changer. Il y a à peine deux mois et demi. Parce que la France a été très cruellement frappée. Parce que la Russie intervient. Parce que le caractère global du conflit s’impose largement à tous.

Et au moment même où le Président François Hollande engage une concertation active auprès des quatre autres membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies qu’il aura tous rencontrés cette semaine sur ce seul sujet, et avant l’hommage national du 27 novembre aux Invalides, nous devons avec la mesure et la dignité qu’exige le respect des victimes, le respect de la souffrance de leurs familles et de leurs amis, le respect que l’on doit à l’engagement sans réserve de nos forces de l’ordre, nous devons assumer notre mandat de parlementaire en nous prononçant sur la poursuite ou non de notre intervention.

A un pays éprouvé par cette tragédie, impensable hier encore, nous devons le sang-froid, la mesure et le plus de vérité possible dans nos analyses comme dans nos propositions.

En effet, entre le devoir d’union que la décence à l’égard des victimes nous impose, et le devoir d’analyse qu’impose le débat parlementaire de l’Article 35 appliqué à la Syrie, le groupe les Républicains du Sénat s’efforce depuis deux semaines, de garder le ton le plus juste. Par solidarité avec ceux qui gèrent le pays dans l’épreuve, une épreuve que nous avions connue avec les crimes de Toulouse et de Montauban en 2012, et qui pourra surgir à tout instant et pour tous, de nouveau demain. Cette solidarité ne fait pas disparaître le devoir de l’analyse et du questionnement qui sont les marques de la responsabilité parlementaire.

Pour qu’il y ait sobriété et clarté dans mon intervention, dès maintenant et sans surprise je vous indique que le groupe « les Républicains » soutient les frappes en Syrie et répondra favorablement à votre demande de prolongation.

Mais puisque le mot de guerre a été employé, nous voulons réfléchir publiquement sur les épreuves et les choix qui nous attendent, nous les Français et que nous devons préparer, ensemble, puisque désormais nous sommes tous également exposés, et nous les parlementaires, également responsables de cet engagement que nous soutenons.

Ces épreuves nous sont imposées par notre adversaire, le terrorisme islamique, multiforme, mais aujourd’hui téléguidé principalement par L’Emirat Islamique, implanté auprès du mythique «  Croissant Fertile » de l’histoire arabo-musulmane, et avant l’un des berceaux de notre humanité. La guerre que les terroristes islamiques mènent contre la France a trois objectifs évidents :

  • D’abord démontrer que la France qui, en Afrique, combat utilement la déstabilisation terroriste conduite par des affidés de l’Emirat Islamique, n’est pas invulnérable, sur son propre territoire national.

C’est la confiance que nous accorde la majorité des pays d’Afrique concernés, qui est ainsi la première cible de l’Emirat Islamique.

  • Le second but est d’introduire le doute dans notre opinion nationale sur l’intérêt de s’engager sur un terrain difficile et complexe alors que nous ne serions pas capables de protéger nos propres citoyens de notre propre territoire. C’est un isolationnisme Français que l’Emirat Islamique imagine imposer à une opinion Française rendue inquiète. L’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des nations unies deviendrait par la peur, silencieux.
  • Le troisième objectif de cette guerre serait plus pernicieux encore. Il viserait à miner la cohésion nationale Française en opposant les Français selon leurs origines géographiques et leurs confessions religieuses. Faire du Français de confession musulmane un bouc émissaire, tel est l’objectif pervers mais délibéré des terroristes islamiques. Avec l’engagement fanatique, l’Emirat Islamique veut instaurer la dialectique de la méfiance, de la peur, et donc préparer au pire un conflit, au mieux un fossé infranchissable entre les uns et les autres.

Pour la France, la menace de guerre ne se compare ni à Août 1914, ni à Septembre 1939. C’est une forme nouvelle qu’il faut appréhender avec gravité. Le terrorisme aveugle est l’arme du faible au fort pour compromettre ses alliances historiques, son rôle international, sa cohésion nationale.

Pour Les Républicains, cette guerre singulière doit être livrée, même si elle ne relève pas à proprement parler du 1er Alinéa de l’Article 35 de notre Constitution.

L’objectif de toute guerre pour une nation est de détruire un adversaire pour l’empêcher de lui nuire. Si l’Armistice de novembre 1918, ou la capitulation du 8 mai 1945 ont eu le mérite de la clarté, les conflits modernes se terminent, hélas, souvent dans le doute, la confusion, le statut quo précaire. Aussi Monsieur le Ministre avons-nous le devoir de vous poser trois questions concrètes, au-delà de l’objectif unanimement partagé d’empêcher l’Emirat Islamique de nuire en France et chez nos alliés par le terrorisme et à partir de son territoire provisoire, les confins de la Syrie et de l’Irak, sur l’ensemble du Proche Orient, puis en Afrique dans les territoires sans états.

La première question a trait à ce que vous attendez d’une coalition unique. Cette coalition repose sur un préalable, l’entente des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il s’agit d’intéresser vraiment les Etats-Unis et de s’entendre à minima avec la Russie. Le Président Obama a dégagé pour l’essentiel son pays de l’Afghanistan  et de l’Irak. Certes, il assure aujourd’hui la très grande majorité des frappes aériennes contre l’Emirat Islamique. Que souhaitez-vous lui demander de plus et en contrepartie de quel engagement Français ?

Les Russes, pour leur part, considèrent qu’il y a un pouvoir à Damas et qu’il convient de lui laisser une place. L’action militaire Russe a en effet et à court terme, l’objectif principal de protéger le territoire du gouvernement de Damas, de la capitale jusqu’à Alep, et à la côte méditerranéenne. Disposez-vous, Monsieur le Ministre, d’une marge de manœuvre pour entraîner la Russie dans une coopération positive qui, inévitablement, laissera un espace politique au pouvoir minoritaire qui cependant semble s’appuyer sur de vraies minorités, et dont l’Etat et l’Armée sont présents sur une partie du territoire.

Avez-vous, avec le Premier Ministre Cameron, fixé des objectifs de guerre et de paix que nous puissions proposer aux trois autres membres permanents, et qui recueilleraient le soutien Européen ? En un mot, la guerre jusqu’où et avec qui ?

La deuxième question a trait aux grands pays riverains. Aucun de ces grands acteurs, Turquie, Iran, monarchies du Golfe ou Royaume d’Arabie, de Jordanie ou Egypte, n’est un adversaire en tant que tel de la France, bien au contraire pour certains. Mais tous ont d’abord leurs intérêts propres de voisins, de cousins, ou de parrains avoués ou  non. Le Liban et Israël entretiennent avec nous des liens aussi profonds que complexes, où l’affection historique réciproque n’exclue nullement des divergences subtiles, et en particulier face aux relations entretenues avec le pouvoir de Damas.

En un mot la France, pas plus que l’Europe, n’a d’alliés certains, condition préalable au projet d’une coalition conduisant un projet d’éradication effective de l’E.I du territoire contrôlé.

Or, nous savons d’expérience que les frappes aériennes peuvent conduire un Etat responsable à réfléchir. Ce fût le cas de la Serbie pour le Kosovo, mais certainement pas pour éliminer l’Emirat Islamique du territoire qu’il contrôle aujourd’hui.

Lors du démembrement de l’Empire Ottoman, la Grande Bretagne avait soutenu les Hachémites de la Mecque, les Etats-Unis, les Saoudiens du Hedjaz. Avec la Société des Nations, les Français avaient construit une armée en Syrie et un Accord politique au Liban. Sur quelle solution politique le Conseil de Sécurité peut-il fédérer les puissances régionales qui ont toutes besoin d’être rassurées et qu’aucune perspective ne rassure à cet instant ?

La troisième question a trait à la cohésion nationale Française.

De ce point de vue j’estime que la France n’est pas fragile, si et seulement si elle reconnaît ses faiblesses d’aujourd’hui :

  • Ne pas nous aimer nous-mêmes et cultiver à l’excès le dénigrement de ce que nous sommes. Après tant de décennies d’autosatisfaction, le dernier demi-siècle est celui du désamour de soi-même et du dénigrement.
  • Nous parlons de diversité sans aller jusqu’au bout de ce que cela signifie, alors qu’il faudrait assumer le même héritage car c’est notre bien commun, toutes origines confondues
  • Nous voulons mobiliser l’autorité de l’Etat et le devoir d’unité mais nous cédons à la facilité des polémiques qui divisent.

Je reprends ces trois questions en commençant par la plus facile à traiter, la troisième :

L’union nationale et la sécurité de nos compatriotes suppose simplement  de se respecter les uns et les autres et de renoncer l’espace d’un instant à nos règlements de compte politiciens. On peut assurer la sécurité des Français sans renoncer au rétablissement de nos finances publiques, car l’équilibre de ces dernières commande notre indépendance. Il y aura ceux qui diront « Que vous ne l’avez pas fait plus tôt, dès Janvier ! ». Il leur serait répondu, « Que n’avez-vous su maintenir les effectifs », en oubliant que 2008 n’est pas 2015 ! Oui aux libertés individuelles, mais rendons hommage au gouvernement d’Edgar Faure qui, en 1955, a fait voter la loi d’urgence qui libère l’autorité de l’état. En un mot « trêve des petites piques inutiles », alors que l’E.I peut à tout moment renvoyer nos querelles à ce qu’elles auraient de dérisoire.

La deuxième question est plus difficile : la diversité Française est un fait d’aujourd’hui, finalement  récent sous sa forme actuelle. Elle ne gomme ni notre histoire, ni nos racines, ni surtout notre héritage singulier, fait de traditions millénaires et d’esprits d’innovation, et ce  de la Renaissance aux Lumières, ou de la Révolution à l’Europe unie du Traité de Rome. Une bonne fois pour toute, de notre héritage, si le pire doit être connu, il ne doit pas chasser le meilleur. Ce dernier, le meilleur, nous oublions trop souvent de le faire connaitre et partager par tous. Il sera toujours le temps de relativiser, d’abord commençons par faire aimer la France à tous les Français.

A l’époque de la mondialisation, les antennes coupoles des téléviseurs et plus encore internet d’aujourd’hui  et de demain permettent a notre société d’entretenir une diversité qui frôle l’éclatement culturel, social et un jour politique. Nos compatriotes nouveaux venus ont leurs racines propres, mais ils sont aussi les héritiers de notre histoire dès lors qu’ils acceptent notre nationalité. Leur avenir est le nôtre, et cet avenir devra forcément beaucoup à cet héritage filtré par l’épreuve du temps, la mémoire collective et un certain art de vivre, des terrasses de café aux concerts de toutes obédiences musicales.

Construire l’unité nationale c’est d’abord s’aimer un peu plus nous-mêmes, nous Français. Et pas seulement dans les tribunes de stade. Cette terrifiante capacité à l’auto-dénigrement la critique « sociologique » de la manif du 11 janvier en témoigne hélas. Tant de Français descendus dans la rue pour afficher leur attachement à la liberté d’expression d’un hebdo qu’ils ne lisaient pas pour les majorité d’entre eux, ne seraient pour certains que des bourgeois réactionnaires, quasiment des « Vichystes Inconscients ».

Les Français ont eu ce jour-là, la volonté et le courage de défendre une cause. Cette France de la rue était ouverte à tous. Ceux qui ne sont pas venus ont eu tort. Et s’ils doivent venir demain, ils seront accueillis comme les ouvriers de la onzième heure selon l’évangile.

Il  ne s’agit ni de marquer des points entre nous, ni de dresser la comptabilité des erreurs ou faiblesses respectives. Aimer son pays dans sa diversité et sa complexité au regard de ce que les générations de guerres par exemple ont surmonté, c’est un défi, il n’est pas insurmontable. De même il faut respecter les formes de politesse publique qui permettent de se questionner sur l’essentiel, aujourd’hui la guerre contre l’Emirat Islamique jusqu’où et avec qui, plutôt que de s’arrêter à la première polémique partisane.

En votant la prolongation, nous vous accordons une confiance qui nous oblige et qui vous oblige, à dire la vérité aux Français sur une guerre qui doit être une occasion entre Français de se parler, de se comprendre, de se respecter et d’être ainsi dans le monde, respecté par notre maturité républicaine.

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