19 avril, 2024

Députés, libérez votre Assemblée !

Depuis 1965, aucun Président élu au suffrage universel n’a jamais obtenu la majorité absolue au premier tour. Tous ont été élus au 2ème tour grâce à des ralliements. Pourtant de mandature en mandature, les Présidents Français se sont progressivement comportés comme s’ils s’identifiaient au peuple tout entier, oubliant le caractère relatif de leur majorité du 2ème tour.
A leur image, les Gouvernements, depuis le Quinquennat et le calendrier législatif pratiqué depuis 2002 bénéficient au-delà du raisonnable de l’autorité politique fondée sur les succès du 2ème tour permettant des majorités absolues. Pourtant ces dernières entraînent paradoxalement un effacement croissant du pouvoir législatif au profit du pouvoir exécutif, et d’abord celui du Président.
Car si les Députés sont eux aussi élus au scrutin majoritaire, ils n’en tirent pas d’autorité particulière. Ils sont devenus modestes. Aujourd’hui, ceux issus du courant présidentiel valorisent leur loyauté à l’égard du Président, et ils oublient l’exercice d’une souveraineté propre issue du suffrage universel. Seront-ils plus respectés par l’opinion et par l’exécutif demain, à 400 environ, qu’ils ne le sont aujourd’hui et particulièrement depuis le Quinquennat, à un peu plus de 577 ? Oui, si leur élection est découplée de l’élection présidentielle, comme l’est aujourd’hui celle des Sénateurs. Elus dans le sillage de l’élection présidentielle, les députés, chacun le constate, sont des ombres portées disciplinées du fait Présidentiel.
Il y a deux façons de découpler le vote présidentiel et le vote des Députés, et il n’y en a que deux. Le Sénat les utilise toutes deux d’ailleurs : la proportionnelle, distincte du fait majoritaire présidentiel et qui renvoie au rapport de force du premier tour ; ou un calendrier découplé obligatoirement de celui du rendez-vous présidentiel. Le découplage permet la liberté, mais il n’écarte pas sinon le conflit, du moins la cohabitation.
Pour l’Assemblée, la réforme proposée actuellement n’a manifestement pas l’ambition de libérer le législatif de la discipline présidentielle. La majorité présidentielle ne l’imagine même pas, on peut le comprendre. La majorité « L.R. » y est hostile également, fidèle à l’idée des Grognards qui sont parfois et injustement traités de Godillots. Or, le Parlement est un pouvoir autonome même si l’Assemblée semble avoir peur de cette responsabilité. Pourtant, les trois cohabitations récentes, deux courtes (86-88, 93-95) et une longue (93-02) montrent que la légitimité de l’exécutif vient de l’Assemblée et d’elle seulement et que cette dernière est capable d’exercer. Le peuple souverain choisit ses élus, ce n’est pas le rôle du Président. Si l’on veut que le Président préside sans neutraliser l’Assemblée et donc le Parlement, il n’y a donc que les deux voies précédemment évoquées et empruntées par le Sénat : la proportionnelle, et à ce moment-là Bayrou a raison, 15% c’est trop peu, quand on sait qu’en Allemagne ce sont 50% des députés élus de cette façon.
Ou bien il faut découpler, je le répète, dans le temps les élections. A mi-mandat présidentiel, ou par moitié pourquoi pas, le débat doit être ouvert. Bref, le peu d’envergure de la réforme proposée montre que le Président s’accommode d’une forme de République Monarchique, c’est-à-dire une pyramide reposant sur sa pointe. C’est un équilibre brillant qui dépend de l’opinion. Si elle s’éloigne, l’édifice vacille. Remettre la pyramide sur sa base, afin que chacun fasse son métier, alors la classe politique sera bien considérée. Mais pour exercer le pouvoir, encore faut-il en avoir envie ; manifestement les Députés ne sont guère motivés par cette perspective qui pourtant leur appartient seuls.
Sans doute se disent-ils qu’ils auront toujours le temps d’aller un jour au Sénat, en oubliant que lorsque l’Assemblée est d’un bloc, le Sénat y perd sa propre finalité d’arbitrage et de conciliation en appel. Un peu de courage et d’imagination pour revenir aux fondements de la Vème, un démocratie parlementaire maîtrisée. Personne n’en veut vraiment, et c’est un mal Français qui nous distingue de toutes les démocraties modernes.

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