19 mars, 2024

Le Grand Débat National : des institutions, pas l’improvisation !

Bien utile, la Commission Nationale du Débat Public permet depuis des années aux maîtres d’ouvrage de grandes réalisations publiques de faire connaître la réalité de leurs projets et d’entendre les réactions de ceux de nos compatriotes qui s’intéressent effectivement à ces futures réalisations.

La CNDP connait deux limites, au demeurant bien compréhensibles : les thèmes sont identifiés et ils ne sont pas généraux et visent des sujets précis : tronçons de routes, lignes de TGV, stockage de déchets nucléaires en couche géologique profonde. La seconde limite est qu’il n’y a pas d’autre sanction que le sens de la responsabilité du maître d’ouvrage et la bienveillance qu’il accorde aux divers points de vue. Mais la CNDP part d’un projet précis, ce n’est pas le cas du grand débat ouvert en ce début d’année.

Certes la CNDP est de plus en plus sollicitée sur des sujets plus larges mais toujours définis : la programmation des équipements énergétiques, qui commande ou qui découle de la politique énergétique globale du pays par exemple lorsqu’un débat public a été organisé sur un thème de société, il concernait les lois de bio éthiques et très directement la PMA et la GPA. Ce fût le rôle d’une Commission spécialisée sur l’éthique et non pas la CNDP.

Le débat public, voulu par le Président, entre lui en conflit direct avec le pouvoir législatif par le caractère général et national des thèmes retenus et par sa vocation à exprimer les demandes du peuple français. Le Parlement il est vrai, s’est habitué à être débordé. Sa légitimité à représenter le peuple n’étant plus exclusive tant s’en faut et particulièrement depuis le Quinquennat Présidentiel. Historiquement, l’un des premiers exemples qui illustre cette mise à l’écart du Parlement sont sans doute les Accords « Matignon » qui furent signés en juin 1936, hors du Parlement, qui venait d’être réélu pourtant ! Exécutif et « partenaires sociaux » se retrouvèrent pour décider de mesures économiques et sociales qui relevaient pour la plupart d’entre elles du seul Gouvernement ou des seules Assemblées. Le pli était formé et le principe de la conférence hors Parlement assez systématisée, à l’exemple du « Grenelle » de 1968 qui en générera bien d’autres, y compris le Grenelle de l’Environnement de 2007, construit hors Parlement, mais ratifié partiellement par ce dernier.

Ironie de l’histoire, la dissolution de l’Assemblée de Juin 68 renforça singulièrement une majorité que les « événements » semblaient avoir désavouée et le Parlement en 2010 écarta une taxe carbone voulue par le Grenelle ! Aujourd’hui, on va encore plus loin dans la marginalisation du Parlement. En effet, le Président et l’Exécutif confient à un service public, la CNDP, aux Préfets et aux Maires, la charge d’organiser un débat, non pas seulement sur les 4 grands Thèmes principaux évoqués mais sur un diagnostic politique global. A partir de ces têtes de chapitre, plus de 100 questions peuvent être posées, toutes aussi complexes les unes que les autres, et qui relèvent en réalité du débat politique tel que les partis en ont la charge et tel que les élections législatives ont vocation à le trancher.

Seule la « note de Bercy » sur la dépense publique me parait utile, car rappelant quelques évidences trop souvent oubliées. Cette note qui veut seulement « constater » nous rappelle surtout l’immense complexité des sujets à traiter, des retraites à la protection sociale, du coût du travail au financement des investissements en passant par l’organisation territoriale. Tous sujets qui sont depuis 30 ans au cœur des débats politiques d’élections en élections.

Ma réserve ne tient pas à la complexité des sujets portés à l’ordre du jour des débats populaires. Ma réserve porte sur un détour de démocratie : ces réponses pour l’essentiel appartiennent à la loi, aux législateurs et donc aux partis qui présentent des candidats. Ces derniers selon l’Art. 4 de la Constitution concourent à la vie démocratique de la Nation. Parce qu’au terme de leurs travaux, il y a un juge respecté, le suffrage universel qui s’exprime après passage dans l’isoloir, loin de la démocratie des Ronds-Points aujourd’hui, des « nuits debout » hier, des Assemblées Générales fiévreuses d’avant-hier, en 1968 par exemple !

Rien de cela dans cette démocratie directe aussi ambitieuse qu’inquiétante : c’est la loi de la présence physique et de la force oratoire qui va commander à la rédaction des P.V. dont personne n’imagine qu’ils puissent refléter une opinion majoritaire, réfléchie et pondérée selon la hiérarchie des priorités. En un mot nous sommes sous l’Ancien Régime, entre des Etats Généraux sans représentativité et des Cahiers de doléances imprévisibles et confus par construction. Il est à prévoir que le Président, au long d’une interminable émission télé à imaginer, nous donnera lui, sa synthèse !

Allons-nous ainsi réconcilier nos compatriotes avec la chose publique ! Je crains que non, en l’absence d’arbitrage des propositions et donc de synthèses fondées sur le travail législatif. Certains déclarent déjà refuser de participer à ces rencontres, alors que ce grand débat a été imaginé par le Président pour eux. D’autres iront, par convictions ou par curiosité. Mais seul le vote législatif peut donner une forme à ce qui paraîtra à la fois nouveau et utile.  Car il faudra choisir, et cette mission est celle des représentants du peuple, pas celle des commissaires de la CNDP ou des animateurs de soirées télévisées.

Plus que jamais notre pays mesure les inconvénients et les fragilités d’un régime présidentiel qui ne connait pas d’autres limites que les sondages, les cortèges du Samedi ou la pression des marchés financiers internationaux.

Il est temps, grand temps, de tirer les leçons de notre vie constitutionnelle, politique et médiatique : la centralisation absolue, de la politique tolérée quand tout va bien, a certes magnifié le Président, mais surtout installé sondages, médias et chroniqueurs établis comme les seuls interlocuteurs du pouvoir exécutif. Aujourd’hui le peuple réapparait en force en apparence, mais en apparence seulement. Parce que ses représentants élus ont plus ou moins renoncé à exercer librement leurs pouvoirs à l’Assemblée Nationale, le peuple cherche, d’autres voies, des ronds-points au pavé Parisien. Mais il ne s’agit là que d’une fraction activiste, mais non de la volonté de tous.

Au-delà d’une crise qu’il faut surmonter, la question me paraît être surtout celle de la reconstruction d’une vie démocratique fondée sur le dialogue responsable, et non le bavardage numérique. Ce dialogue incombe aux partis et il se traduit, pour prendre des décisions et donc trancher les conflits légitimes et inévitables, par l’élection de représentants. Aussi tonique ou physique que soit le Président, il ne peut à lui seul, porter la vie publique quand bien même irait-il de chefs-lieux de canton en Sous-Préfectures. Son voyage ne sera jamais exhaustif. Son statut ne permet pas une véritable concertation. De plus, sa mission principale va finir par en souffrir, emploi du temps oblige. Puisque la France doute d’elle-même, reconstruire ses institutions et ses procédures républicaines me parait plus solide que l’exercice – souvent talentueux, parfois irritant – mais toujours solitaire du discours vertical. L’outil de la République, ce sont ses institutions. Le dynamisme du Président est un atout. Ce n’est pas une réponse durable aux doutes d’un peuple tout entier.

Gérard Longuet

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