19 mars, 2024

Tribune de Gérard Longuet dans le Télégramme de Brest : avec l’Ukraine « c’est le temps du courage, d’abord »

Gérard Longuet, sénateur et ancien ministre s’exprime sur les relations que la France doit entretenir avec la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine et surtout à l’avenir.

« Président, au Sénat, du Groupe d’Amitié France-Russie, ayant accompagné Gérard Larcher lorsqu’il rencontra Poutine en février 2015, je suis familier de rencontres chaleureuses avec nos interlocuteurs Russes. Chaleureuses mais sans doute, la suite l’a prouvé, très superficielles.

Je viens de me rendre avec une délégation, à Kiev, les 20, 21 et 22 avril pour essayer de mieux comprendre cette tragédie Ukrainienne. Comprendre et surtout anticiper rapidement pour intervenir utilement. Aider la paix sans ignorer qui est l’agresseur, la Russie, et qui au contraire défend sa liberté, l’Ukraine. Intervenir rapidement pour que le courage d’un peuple ne soit pas vain. Pour que le cynisme de Vladimir Poutine ne puisse être, en quoi que ce soit, et même partiellement, récompensé au détriment de l’Ukraine.

[Tribune] Gérard Longuet : avec l’Ukraine « c’est le temps du courage, d’abord »
(Photo EPA) – Le Télégramme de Brest

Je ne suis pas journaliste. Je suis un responsable politique et je dois soumettre à mes collègues parlementaires et au gouvernement quelques observations issues de ces 48 heures de réflexions soutenues, éclairées par les acteurs du drame, Vitali Lkitscho, à la mairie de Kiev et Igor Zhokva à la Présidence.

Première observation : sous l’impulsion, depuis 2019, de Volodymyr Zelensky, le gouvernement de Kiev commande utilement, et militairement, un pays solidaire qui, dans l’épreuve, surmonte tous les clivages qui l’ont si souvent freinés dans son action de modernisation et, pourquoi ne pas le dire, d’occidentalisation.

Deuxième observation : la taille du pays, sa profondeur, la distance entre l’est, le Donbass, lieu de l’affrontement décisif, et les frontières de l’Union européenne toujours ouvertes, voilà qui donne à sa résistance militaire, de très solides atouts. À ce jour, rien n’est écrit, si ce n’est qu’il n’est pas possible pour la Russie de se saisir de l’Ukraine comme d’un prisonnier que l’on ramène de force dans sa prison. Poutine a démontré son appréciation totalement fausse de la nation voisine : résistante, déterminée à défendre sa liberté nationale, garante de la liberté de tous ses citoyens. Bref, l’Ukraine existe en dignité et en force.

« L’Europe sera toujours le voisin de la Russie, nous devons régler nos problèmes pour ne pas nous paralyser mutuellement. Un partenariat dans l’avenir est indispensable. Aujourd’hui il est impensable. Il faut que l’Europe protège les siens, Ukraine comprise. C’est le temps du courage, d’abord, et aussi celui de la diplomatie ».

Je dois ici confesser la faiblesse de ma génération : nous avons salué la chute du mur de Berlin, l’unité allemande retrouvée, la dislocation de l’URSS et l’arrivée dans l’Union européenne de nos cousins de l’Est, comme une consécration et une promesse de paix. Mais je n’ai pas – et je ne suis pas le seul – évalué ce que la Russie exigeait en retour d’attention et de compréhension. De 1990 à 1998, deux ministres russes des Affaires étrangères se sont succédés en s’opposant : Andreï Kozyrev (1990-1996) a résolument orienté la Russie vers l’Ouest ; Levgueni Primakov (1996-1998) a cru pouvoir renouer avec l’héritage soviétique, préparant la voie pour Poutine.

Si, en Septembre 2001, Poutine, au pouvoir depuis un an, a tenté de convaincre que sa Russie pouvait être un partenaire privilégié dans la lutte contre le terrorisme islamique, après les attentats du 11-Septembre, de vraies ruptures ont creusé un fossé, en apparence désormais infranchissable : la guerre en Tchétchénie par ses méthodes va gêner l’Ouest. Mais de son côté la Russie estime que le bombardement, en 1999, de la Serbie pour qu’elle lâche le Kosovo, sans l’accord des Nations Unies, tout comme la deuxième guerre d’Irak ou le débordement par les coalisés du mandat libyen des Nations Unies en 2011, autorisent Poutine à douter du « multilatéralisme » de l’Onu.

Nous n’avons pas non plus mesuré combien les évènements d’Ukraine « post Maïdan » et l’application effective des deuxièmes accords de Minsk étaient pour l’Europe l’occasion de construire une relation « virile » avec la Russie. Pour celle-ci, faute de cette pression forte, tout devenait possible, fut-ce au prix de sanctions qu’un pays immense et largement auto-suffisant à court terme s’est senti capable d’affronter.

Nous avons un nouveau Président, bien élu ce dernier dimanche. Nous avons une Europe largement solidaire. Emmanuel Macron est-il décidé à ce que la France soit exemplaire pour que la force du plus grand n’impose pas sa règle en Ukraine ? Est-il déterminé à construire entre l’Europe et la Russie cet équilibre durable, sans nostalgie de l’URSS, et sans l’hypocrisie d’une Guerre Froide implicite ? L’Europe sera toujours le voisin de la Russie, nous devons régler nos problèmes pour ne pas nous paralyser mutuellement. Un partenariat dans l’avenir est indispensable. Aujourd’hui il est impensable. Il faut que l’Europe protège les siens, Ukraine comprise. C’est le temps du courage, d’abord, et aussi celui de la diplomatie. C’est le devoir des Européens ! »

Gérard LONGUET

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