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Atlantico : Ce lundi, François Fillon est en visite à Berlin pour rencontrer la chancelière Angela Merkel. Comment le candidat LR à la présidentielle conçoit-il la relation que la France doit entretenir avec l’Allemagne ? Que souhaite-t-il obtenir de notre voisin outre-Rhin ?
Gérard Longuet : Il convient de distinguer deux niveaux dans la relation entre François Fillon et Angela Merkel. Tout d’abord, il convient de considérer la relation personnelle. Celle-ci s’est formée dans l’exercice des responsabilités et au sein du PPE. En effet, nous sommes membres de la même formation et il est donc arrivé à François Fillon de rencontrer Madame Merkel dans ce cadre du PPE. Le deuxième niveau de réflexion est différent : François Fillon se revendique du gaullisme. Dans cet héritage, on retrouve la réconciliation allemande, spectaculairement initiée par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer en 1963.
A cette époque, un tel rapprochement n’était pas si facile pour les Allemands, en raison de la Guerre froide, de la menace soviétique, etc. qui les conduisaient à être proches des Américains. Le traité de l’Elysée se voulait donc être un traité de rapprochement franco-allemand d’affichage européen, et implicitement, de responsabilité face aux Etats-Unis. Cela tombe plutôt bien compte tenu des deux niveaux que je viens d’évoquer. D’une part, il y a un problème politique en Europe qui concerne le PPE, et ce depuis le départ du Royaume-Uni à la demande d’un candidat conservateur. La reconstruction européenne repose désormais sur le centre-droit dont manifestement Angela Merkel et François Fillon sont les deux porte-paroles les plus illustres en Europe. D’autre part, l’élection de Donald Trump nécessite assurément pour l’Europe d’afficher un projet politique de moyen terme, en tenant compte des quatre prochaines années, mais aussi du Brexit.
Cette rencontre est donc très importante : il y a à la fois une coordination politique et une coopération binationale dont j’ai toujours pensé qu’elle était au cœur de la construction européenne dans l’héritage de Robert Schuman.
Quels sont les principaux points de désaccords entre François Fillon et Angela Merkel ? Dans quelles mesure certains événements récents, comme l’attentat de Berlin ou l’élection de Donald Trump, peuvent-ils atténuer ou accentuer ces désaccords ?
Je ne pense pas qu’il y ait de désaccords. En revanche, il peut y avoir deux doutes. Le premier est un doute allemand quant à la capacité de la France à s’engager dans les réformes nécessaires pour satisfaire durablement aux critères de la monnaie commune. Sur le fond, les intentions de François Fillon sont claires ; il s’est d’ailleurs expliqué de son vote négatif sur le traité de Maastricht. Par ailleurs, il a demandé – et je pense qu’il le demandera à Madame Merkel – que l’Europe soit aussi un gouvernement politique de l’euro à 17. Cette attitude intéresse les Allemands, tout en les interpellant. Elle les intéresse dans la mesure où cela crédibilise la monnaie unique auxquels les Allemands – pour beaucoup d’entre eux – se sont résignés, et dont ils veulent une stabilité de fonctionnement. Dans le même temps, les Allemands ont peur qu’un gouvernement politique de l’euro les isole des pays de l’Est qui n’ont pas encore fait le choix de la monnaie unique comme la Pologne par exemple. Or les Allemands ont absolument besoin de ces pays, qu’ils souhaitent arrimer à la construction européenne. Voilà un premier point qu’il faut clarifier entre François Fillon et Angela Merkel : comment gouverne-t-on l’euro ? Et est-ce que cette gouvernance aboutirait à une Europe à deux vitesses ?
Le deuxième sujet qui pourrait susciter des doutes est le réalisme dans la lutte contre le terrorisme. Assez naturellement, l’Allemagne regarde davantage vers l’Est (pays baltes, Ukraine, Balkans) par rapport à la France. De notre côté, notre regard est surtout orienté en direction de l’Afrique. Entre les deux, le véritable problème, celui qui a provoqué un exode massif de populations, réside d’une part dans la volonté de la Turquie face à la guerre civile syrienne et irakienne, et d’autre part dans la déstabilisation libyenne. Cette dernière conduit le pays à être la terre de tous les passeurs les plus actifs et scandaleux.
Sur les origines du problème, je crois que le diagnostic est partagé entre François Fillon et Madame Merkel. Toutefois, l’expression en est différente, notamment parce que l’Allemagne a été elle-même frappée par l’exode massif de populations en provenance de l’Est européen en 1945. Elle considère donc qu’elle a les moyens matériels d’apporter une réponse matérielle à des populations en difficulté. Nous Français, nous sommes tout à fait prêts à aider ces populations, mais chez elles, en contribuant au retour à la paix. De ce point de vue, François Fillon est certainement plus réaliste que d’autres puisque l’évolution en Syrie montre qu’une forme de cessez-le-feu a l’air d’être possible. Madame Merkel sera sans doute intéressée par l’analyse de François Fillon sur la Libye et sur la Syrie.
Cependant, l’un et l’autre vont se poser la question de l’attitude vis-à-vis de la Russie. En effet, cette dernière est un acteur important dans les Balkans à travers la Serbie ; dans les pays baltes à travers les attitudes parfois encombrantes de la Russie. La solution diplomatique de l’affaire de Crimée pose un problème de principes, qui doivent être respectés, y compris par les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies dont la Russie fait partie.
Conduite de la politique de l’euro, attitude européenne face aux crises qui l’entourent – incarnées notamment par Vladimir Poutine et Donald Trump –, sans oublier le Brexit : voici donc l’ordre du jour, extrêmement dense, qui attend François Fillon et Madame Merkel.
L’Europe de la défense passe par le préalable suivant : une autorité politique européenne acceptée par les grands Etats membres (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne etc.). Il n’y a donc pas de défense s’il n’y a pas de projet politique. Mettre en œuvre un gouvernement politique à 26 est une tâche compliquée. A 17 en revanche, cela me paraît davantage réalisable. L’Europe de la défense n’existera que le jour où les grands pays continentaux se sentiront engagés par des décisions politiques prises en commun. Aujourd’hui, cela n’est pas le cas. Ils sont engagés dans ce système complexe de la construction européenne, par un compromis permanent entre le Parlement, la Commission, le Conseil des ministres – avec des capacités de blocage qui peuvent parfois aboutir à des situations extrêmes comme lorsque la Wallonie avait décidé de bloquer l’accord entre l’UE et le Canada.