5 octobre, 2024

Raymond Poincaré, un Président Meusien

Gérard Longuet, le 14 octobre 2012 devant la tombe du Président Raymond Poincaré à Nubécourt :

Merci à Lily Gervaise d’être avec conviction l’organisatrice de cet hommage. Près de 80 ans après la mort du grand Président Meusien, la présence nombreuse de vos invités témoigne de notre fierté collective de savoir que notre terre de Lorraine et de Meuse ait engendré une personnalité nationale aussi forte.

Présent chaque année depuis si (trop ?) longtemps, je m’efforce de rechercher une illustration nouvelle de l’actualité du Président Poincaré. Aujourd’hui, ce 14 octobre 2012, nous sommes entre deux centenaires : Centenaire de l’accès de Raymond Poincaré à la Présidence du Conseil en Janvier 1912, Centenaire prochain dans trois mois de son élection à la Présidence de la République.

De la fonction Présidentielle, la IIIème République faisait un usage modeste : pour un Casimir Perier ou pour un Alexandre Millerand qui souhaitaient affirmer leur rôle, combien de Présidents débonnaires et effacés condamnés à inaugurer les Salons des Peintres officiels, ou accueillir à la Gare de Petite Ceinture des Rois inconnus d’Etats tout aussi incertains. Avec cruauté Clémenceau, qui tenta cependant sa chance sans réussir, disait de « cet organe qu’il était avec la prostate pour l’homme tout aussi inutile pour la République ». Clémenceau était médecin, je vous le rappelle.

Poincaré, lorsqu’il décide en Novembre 2012 d’être candidat, n’ignore rien de cet isolement et de cette marginalité institutionnelle du Président élu par ce que l’on appelait alors l’Assemblée Nationale et qui serait le Congrès d’aujourd’hui.

Pour moi, et c’est le message de mon intervention de ce jour, Poincaré en choisissant d’être candidat exprime une modernité qui impressionne tant elle anticipe la révolution constitutionnelle de 1958.

Après 10 mois d’expérience au Quai d’Orsay d’où il préside le Conseil des Ministres (12 en tout plus 4 Sous-Secrétaires d’Etat), Poincaré dégage une certitude : l’avenir de la France se joue dans l’ordre international. Or, les affaires étrangères exigent de la continuité. Cette continuité appartient au Président élu pour 7 ans, pas au Président du Conseil dont l’horizon dépasse rarement les 18 mois.

Pour Poincaré, l’avenir de la France dans le Monde dépend de ses alliances, qu’il faut consolider, et de ses adversaires qu’il faut désunir. Au lendemain de la crise d’Agadir, dont la solution heureuse nous permet d’établir notre protectorat sur le Maroc, il faut calmer le jeu avec l’Empire Allemand sans baisser la garde face à un pays peuplé de plus de 60 millions d’habitants (nous en comptons moins de 40).

Ce sera la bataille pour la « loi de 3 ans de service militaire ». La Loi est votée en juin malgré de fortes oppositions. La modernisation de notre armée s’accélère sous son impulsion. Mais cela n’est pas suffisant. Il faut entretenir l’entente cordiale avec la Grande Bretagne, qui hélas n’oblige en rien ce Royaume à nous aider en cas d’agression. Il faut surtout gérer l’alliance Franco-Russe, qui elle a des implications militaires immédiates en notre faveur en cas de conflit. Mais c’est une Alliance qui nous pose de si nombreux problèmes qu’elle nous expose autant qu’elle nous protège.

D’abord, parce que la Russie autocratique et archaïque étonne et inquiète notre Gauche Républicaine dont fait partie Poincaré. L’Allemagne de Guillaume II est culturellement bien plus proche ce qui amènera Jaurès à se tromper sur les solidarités pacifiques ouvrières. Techniquement ensuite, les moyens manquent pour utiliser les capacités humaines et les ressources de l’immense Russie. Les emprunts « Russes » serviront à financer les chemins de fer de la mobilisation du peuple Russe. Pour nos voisins allemands, la France finance de futurs mercenaires ! Politiquement enfin, et c’est bien plus grave, l’Empire Russe veut, dans les Balkans, parce qu’il est le protecteur des Slaves et des Orthodoxes, remplacer l’Ottoman. L’Autriche Hongrie s’y oppose. Les guerres balkaniques, aujourd’hui si peu compréhensibles, préfigurent l’enchaînement tragique qui, de l’assassinat de l’Archiduc héritier François Ferdinand à l’ultimatum à la Serbie, entraînera la Guerre Mondiale.

En choisissant d’être Président de la République, Raymond Poincaré place le jeu de la France dans le Monde avant le pouvoir politique national, qui lui relève du seul Parlement et donc du Président du Conseil. Première modernité, la vision sinon Mondiale, du moins globale, qui n’est pas la revanche du Lorrain ; il n’est pas nationaliste comme l’était Barrès. Non, il s’agit d’épargner à la France cet isolement qui entraîne la défaite en 1814 comme en 1870.

Modernité ensuite par la procédure. Si les Sénateurs et les Députés seuls élisent le Président, c’est bien l’opinion qui exige Poincaré. Les sondages n’existent pas mais les éditoriaux de la presse sont presque unanimement en sa faveur. Il lui faudra affronter l’opposition de Clémenceau qui invente un candidat « cousu main », M. Pams. Ce dernier emporte de 5 ou 6 voix la primaire qui rassemble les un peu plus de 600 parlementaires de la Gauche Républicaine sans les Socialistes et naturellement sans la Droite Catholique.

Mais M. Jules Pams (il s’agit de lui) s’il devance largement Poincaré n’obtient pas la majorité absolue de la Gauche. Poincaré décide alors, en rupture avec toute la tradition de sa famille de la Gauche Républicaine, de laisser la décision aux parlementaires rassemblés. Il sera élu sans que l’apport de la Droite soit nécessaire ; mais il a brisé un tabou partisan parce que l’enjeu le méritait. Le Président n’est plus l’otage de son camp. Il a rassemblé sa majorité, condition de l’autorité politique.

Son voyage à Saint Petersburg, de Juillet 1914, consolidera l’alliance Franco-Russe qui seule nous permis d’encaisser le choc d’Août 1914 de la bataille des frontières à la victoire de la Marne : les divisions Impériales bloquées à l’Est manqueront heureusement à la réalisation du plan Schlieffen. La violation Prussienne de la neutralité belge entraînera à nos côtés le Royaume Uni. Je ne sais pas si la guerre pouvait être évitée. Mais dans l’hypothèse du pire, le Président Poincaré avait consolidé les alliances de la France plus surement que n’aurait pu le faire le Président du Conseil Poincaré. Et cela au prix d’un renoncement personnel, l’isolement et la solitude du Président. Clémenceau en abusera après sa nomination par Poincaré en 1917. Mais Clémenceau n’aurait pas pu être le « Père de la Victoire » si Poincaré n’avait été avant le Président des Alliances Pertinentes.

Nubécourt, ce 14 octobre 2012, me donne l’occasion de le rappeler. Seule la défaite est orpheline. La victoire a de nombreux auteurs. Mais c’est l’honneur d’un homme d’Etat de réunir pour son pays les conditions du succès même s’il n’en profite personnellement que rarement. La gloire de Napoléon a laissé la France plus petite, au lendemain du 2ème Traité de Vienne. La rigueur discrète d’un Poincaré, au contraire, a contribué à cette victoire de novembre 1918 dont nous n’avons pas su tirer pour l’Europe, la France et pour l’Allemagne, les leçons de sagesse et de générosité qui s’imposaient alors. Mais ceci est un autre thème pour d’autres commémorations.

A Nubécourt, le 14 octobre 2012.

 

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